tyrans joyeux des attardés ou des endormis près des silencieux menhirs… Voilà du merveilleux que nous connaissons bien tous. Et quel est le paysan breton qui mieux que nous encore ne l’a entendu conter et chanter, lequel d’entre eux ne l’a vécu ou du moins ne l’a cru vivre ? On le lui met sous les yeux en un drame aussi attrayant pour lui qu’artistique pour nous. C’est bien ce qu’il faut et non pas autre chose. L’étranger n’y entendrait rien : le méridional gouailleur en rirait, le Lorrain pensif essayerait de comprendre ; et le bourgeois, haussant les épaules, aurait fui avant même d’avoir réfléchi. Car la joie de vivre dans le rêve, la fréquentation de l’au-delà, ce milieu idéal où l’âme fraternise avec les esprits, toute cette épopée dans un cadre d’ivresse hilarante, n’éveille aucun écho dans les âmes qui ne sont pas les nôtres ; elle les déroute plutôt. Elle ne convient qu’aux Celtes. Aussi le paysan breton n’y assistera pas seulement en spectateur étonné et ravi, il le vivra, ce drame qui lui parle tant de lui-même ; les scènes qui l’empoignent se dérouleront devant lui, mais son âme voyageuse aura fui ; elle est loin, bien loin, dans la lande qu’il connaît, au coin que tout le monde ignore excepté lui, au foyer de la famille, le soir près du tison qui brûle, quand les anciens racontent et que les petits écoutent avec leur bouche et leurs yeux grands ouverts. Alors le paysan breton jouit ; toute son âme captivée goûte un charme troublant et indicible, qu’elle seule connaît et quelle garde jalousement sans oser le livrer jamais. — Il fallait être, comme Le Bayon, breton de race pour comprendre cela, et aussi artiste qu’il l’est pour le si bien mettre en scène.
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Neuz