Pajenn:Luzel - Lincel ar re varo.djvu/16

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Le Linceul des Morts . 215 venir de la sacristie, tenant un cierge dans chaque main. Il en plaça un de chaque côté du catafalque. Kervran, envoyant cela, pense qu'un enterrement doit avoir lieu, cette nuit, et il descend de la chambre de l'horloge et vient s'agenouiller auprès du catafalque et prier pour le défunt. Etonné de voir qu'on n'avait allumé que deux des cierges qui étaient autour du catafalque, il se met à allumer aussi les au- tres. Mais, comme il ne voyait personne venir, ni prêtre, ni autre, il est surpris et pense : — « Il faut que ce soit une âme en peine qui est dans ce cercueil! Si c'était la volonté de Dieu que je pusse la délivrer, je suis content de mourir, et quand ce devrait être sur-le-champ. » Il aperçoit le linceul resté sur le pavé de l'église, le met sous son bras, et va se remettre à prier Dieu, devant l'autel. A trois heures, la morte, comme chaque fois, sort de terre, et ne voyant pas son linceul, elle se met à crier : — « Où est mon linceul ? Il me faut mon linceul !» — « Il est ici, avec moi, dit Kervran, et je vais vous le rendre, tout de suite, et (je vous donnerai) même ma veste, si vous voulez, car vous devez avoir froid, comme cela, toute nue. » Et il lui rend son linceul. — « Merci ! mon brave homme, dit-elle, et Dieu vous le rende, car vous m'avez délivrée ! Depuis cent quarante ans, je suis ici à faire pénitence, et j'étais condamnée à rester en cet état, jusqu'à ce que j'eusse rencontré quelqu'un qui priât pour moi et me présentât mon linceul, comme vous l'avez fait. Beaucoup de gens m'ont vue, dans cette église, depuis que j'y suis à faire pénitence, et tous étaient saisis de frayeur et s'en- fuyaient, quand je leur demandais mon linceul, parce qu'ils n'osaient pas le prendre et me le présenter. Quelques-uns le prenaient bien, mais me le jetaient comme à un chien. Toutes les nuits, depuis cent quarante ans, il me fallait passer trois heures au sein de la terre, toute nue, de minuit à trois heures. Je vais vous dire le péché pour lequel je faisais si grande pé- nitence : Quand je vivais, dans le monde, je dépouillais les morts, dans leurs tombeaux. Quand mourait quelque richard, dans le pays, sous prétexte de prier pour son âme, je me ren-